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André de Cayeux de Sénarpont, dit Cailleux

par Jean L.F. Tricart

Ce diable de petit homme brun, qui commençait à peine de grisonner, est mort à près de 80 ans le 27 décembre 1986, alors qu’il se remariait pour la deuxième fois...


Je perds un ami. La science perd un savant. Son physique était on ne peut plus éloigné de la " tête d’oeuf " des Américains, au crâne ellipsoïde allongé et aussi dénudé que les croquis et blocs-diagrammes davisiens. Physiquement différent d’un tel stéréotype du " savant ", il l’était plus encore intellectuellement. Rien, dans sa vie, qui ressemblât à la célèbre et sinistre " tour d’ivoire " : jeune agrégé, il avait, avant la guerre, émigré en Pologne, pour y enseigner. Il y apprit le polonais et y prépara sa thèse. Après la mort tragique de sa première épouse, dont il eût douze enfants, ne pouvant supporter la solitude, il épousa une polonaise, qui mourut avant lui. Revenu en France juste avant la guerre, déjà père de famille, il passa clandestinement en Espagne. Franco fut trop content de l’échanger contre quelques sacs de blé : il passa en Afrique du Nord et revint, officier, par l’Italie...De petite noblesse beauceronne, il adopta un pseudonyme scientifique plébéien. Admirablement soutenu par sa première femme et pleinement conscient de ce qu’il lui devait, les malheurs se succédèrent pour lui à partir du moment qu’elle mourut... Attaques cardiaques, problèmes familiaux... Michel Brochu, qui fut son ami, doit se démener dans de difficiles conditions pour établir une bibliographie analytique et critique de ses travaux et nous avons dû renoncer déjà à des possibilités qui nous étaient offertes de la publier. Une partie de ses archives et de ses publications a été déposée par lui de son vivant à l’Université de Reims où il est possible de les consulter.


Cet homme hors du commun, qui, lors de la dernière visite que je lui ai faite, une quinzaine avant son décès, faisait encore des projets d’avenir, a su rester jeune intellectuellement toute sa vie. Gros travailleur, il a multiplié les expériences, ayant été titulaire de postes d’enseignement en Pologne, à la Sorbonne, Au Québec. Il parlait ou lisait couramment une dizaine de langues germaniques et slaves et ... rédigeait parfaitement le français ! C’est lui qui m’a appris, alors que j’étais licencié ès lettres et agrégé d’histoire et de géographie, à rédiger un article scientifique, avec une précision et une concision digne des grands prosateurs contemporains que sont de Gaulle et Mitterrand. Ni la vie ni l’âge n’avaient émoussé sa curiosité, aucune expérience ne chassait l’autre : elles s’accumulaient et se renforçaient par un effet de synergie. Vieillard par sa date de naissance, il aidait les jeunes : Brigitte Van Vliet-Lanoe a pleuré à chaudes larmes, à Fontainebleau, en janvier, lorsque fut évoquée sa mémoire au début d’une réunion de la Commission des Phénomènes Périglaciaires...


Cailleux avait un véritable génie pour mettre au point des méthodes simples et efficaces alors que trop de gens, à notre époque, adorent compliquer les choses et entasser les équipements coûteux que leurs publications (quand ils en font...) sont loin de justifier. C’est ainsi que, pour mesurer rapidement les pentes, il utilisait un rapporteur en Plexiglas percé d’un trou au point d’origine, avec un fil à plomb fixé à ce trou... En se plaçant bien de profil, une mesure rapide et exacte à 1-2° près se faisait en une minute. Léger, l’instrument, peu coûteux de surcroît, était à la portée de tous et se transportait facilement, ce qui permet de multiplier les mesures. Et Dieu sait qu’il en fit sur les formations de pentes quaternaires... Les indices mis au point pour définir la forme des fragments (" galets ") sont de la même veine. Eux aussi ont beaucoup servi et... servent encore. Leur efficacité est bien supérieure à ceux de Krumbein, sédimentologiste mondialement connu. Je les ai pratiqués avec lui : ils nous ont servi à préciser la dynamique actuelle de bien des milieux, marins, fluviatiles, glaciaires et de déceler les influences interactives de la lithologie et des climats. Dès la préparation de sa thèse, il s’est intéressé aux sables et a dégagé, à l’aide de loupes binoculaires, les différences de formes et d’aspects qu’ils acquièrent sous l’effet de processus variés. La Pologne, où fut lancé, en 1910, par Locynski, le concept de " périglaciaire " fut aussi le berceau des éolisations périglaciaires examinées par A. Cailleux trente-cinq ans plus tard. Sables et galets ont fait l’objet de patientes recherches de sa part, de celles de ses élèves parmi lesquels je me place. Ils ont fourni une mine d’informations sur les processus actuels et, une fois transposés dans le passé, un instrument remarquable de reconstructions paléogéographiques. Les études faites par notre équipe strasbourgeoise ont mis en lumière, il y a trente ans, en appliquant les méthodes d’A. Cailleux, la corrosion des grains de quartz, reconnue depuis grâce au microscope électronique par L. le Ribault.


Les orientations des grands éléments dans les formations de pente, les dépôts littoraux, fluviaux, glaciaires, ont été aussi l’objet de techniques d’étude, simples, sans précision illusoire, rapides à appliquer, plus performantes que celles des sédimentologues américains.

A. Cailleux avait retrouvé, en 1986, un double d’un manuscrit, traduit de l’anglais vers 1950 par notre élève commun R. Galloway et destiné à une revue américaine qui nous l’avait demandé, mais qui ne l’avait jamais publié. Passé de mode ... et, cependant, toujours bien utile ! Nous avions décidé de le déterrer et de le publier. Notre dernier entretien était consacré à sa remise à jour. Je l’ai achevée, seul, pieusement...


Ce génie du bon bricolage, de la mise au point de techniques simples, efficaces, peu coûteuses permettant de multiplier des données suffisamment exactes pour être comparées et, ainsi, pour acquérir une vue d’ensemble, est au centre de l’oeuvre d’A. Cailleux, au centre de sa personnalité. Novateur, donc ne perdant pas son temps à encenser les auteurs de banalités, A. Cailleux n’a jamais bénéficié d’appuis officiels. Son laboratoire était installé chez lui, au dernier étage, dans une mansarde chauffée tant bien que mal et protégée des courants d’air par une lourde portière faite de couvertures usagées : il ne fallait pas gaspiller, malgré l’efficacité de Madame Cailleux, pour élever une dizaine d’enfants avec un traitement de simple professeur... Un cordon permettait, dans l’escalier, de l’appeler au rez-de-chaussée.


Comme tous ceux qui sont conscients de leur valeur, A. Cailleux était fier : il n’était pas orgueilleux. Il respectait les humbles, qui en étaient conscients et qui souvent, ont consacré une partie de leur temps à faire des recherches sous sa direction ou avec lui, puisqu’il n’a jamais bénéficié d’un collaborateur technique du CNRS. Mme Bouillet, mère de famille, fit chez elle, au Berry, force calculs et mesures qui donnèrent lieu à des publications de sédimentologie. Matschinsky, réfugié, géophysicien, que Cailleux me demanda d’héberger à Strasbourg et qui se présenta comme " colonel du Tzar " et indiqua, sans façons, à ma femme, le menu qu’elle devait préparer pour lui, collabora avec lui à des études sur la morphométrie des continents du Globe terrestre... Deux exemples : du grain de sable à la Planète... et même aux autres planètes, comme le montrent les chroniques et articles publiés dans les Cahiers Géologiques, mourante feuille de chou qu’il sauva de l’agonie et offrit à l’Université Pierre et Marie Curie (encore une polonaise...).


Une telle curiosité, une telle ouverture sur la Nature (A. Cailleux était agrégé de Sciences Naturelles), un tel sens de l’humain facilitant et multipliant les contacts ont permis à Cailleux de faire d’innombrables rapprochements. En 1986, il présenta à un congrès international une note sur l’homéopathie et les propriétés aphrodisiaques de la nitro-glycérine...

Résumer la carrière scientifique d’A. Cailleux serait s’exposer à la dénaturer, à l’avilir sous la forme d’une fiche analytique, à être incomplet, donc injuste envers son oeuvre. Ses qualités exceptionnelles ont particulièrement bénéficié aux recherches sur le Quaternaire. L’étude du Quaternaire, en effet, est un carrefour. Comme celle du Précambrien, qui a aussi tenté notre Ami, elle n’appartient à aucune spécialité : elle est, par nature, transdisciplinaire, consacrée à l’examen de problèmes qui doivent être abordés avec le secours de techniques de recherche issues de toutes les disciplines et qui ne peuvent être compris qu’en transcendant les points de vues sectoriels. A. Cailleux, naturaliste de formation, ayant ensuite élargi au Monde entier son champ de vision, fut un grand quaternariste. C’est une fierté pour le Comité National Français de l’INQUA que de l’avoir eu pour Président et de lui avoir conféré le titre de Président d’Honneur.

Jean L.F. Tricart

Extrait de l’hommage de Jean Tricart à publié dans le Bulletin de l’Association française pour l’étude du Quaternaire,1987-2pp.67-68.

Ecrit par cornu le Vendredi 25 Août 2006, 09:50 dans "André Cailleux" Version imprimable

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