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André Cailleux et la Planétologie

par Audouin Dollfus

En 1948, rien n’existe encore de la recherche spatiale et aucun indice ne la laisse prévoir. L’étude des planètes repose entièrement sur la seule observation télescopique.

Le parcours planétologique d’ s’engage cependant déjà. En voici quelques étapes, parmi celles qui m’ont été proches ; elles peuvent être résumées en onze épisodes :


 

1) Une nuit de l’été 1948, au sommet du Pic du Midi, à près de 3000 mètres d’altitude

 

La grande lunette astronomique se distingue à peine dans l’obscurité de la coupole qui l’abrite. Avant d’entreprendre les analyses polarimètriques, j’ai pointé la Lune. Tout est figé, tranquille dans cette coupole obscure, si ce n’est le léger ronflement du moteur qui entraîne le grand instrument. En haut de l’échelle, dans l’oculaire, les cratères lunaires dessinent un ciselé impressionnant.

 

J’entend un frôlement ; il me semble que, dans le noir, la porte de la coupole s’est entrebâillée, puis refermée. Je sens une présence humaine. Puis, une voix inconnue s’élève doucement : " Excusez ma hardiesse ; je crois que vous observez la Lune. Serait-il possible de jeter un regard ? ".

 

Il n’est pas dans les habitudes de laisser entrer un étranger ainsi, la nuit, sous la coupole en cours d’observation. Mais le timbre de la voix me plaît, je prête l’oculaire, pour un court instant.

 

Alors, quelque chose d’étrange se produit. L’intérêt porté par ce visiteur inconnu me pénètre et m’imprègne. Il est évident qu’il voit la Lune ainsi pour la première fois... Quelques instants de grand silence.

 

Puis, la voix reprend à nouveau, dans le noir, mais alors chargée de chaleur :

" Mais, ces cratères, on dit que ce sont des caldera volcaniques. Je vois bien que cela est tout a fait impossible. Regardez ce piton central ; un volcanisme ne peut produire une telle pente ni ce relief ; la fluidité du matériau ne le permet pas. D’ailleurs, on ne voit pas d’effets de contraction thermique ".

 

Je regarde à mon tour, quelque peu abasourdi... La voix enchaîne ;

" On reconnaît plutôt des effets d’explosion. C’est vrai, il doit y avoir eu des collisions, sur un corps comme la Lune. Ah, oui ; la vitesse d’arrivée d’un corps céleste qui tombe sur la Lune est donnée par l’attraction de la Terre ; elle doit donc dépasser 10 kilomètres par seconde. L’énergie doit être bien suffisante pour qu’il y ait explosion ".

 

Avec mes 23 ans, j’écoute cet inconnu, dans le noir. Je ne devine que la silhouette ramassée.

 

" Tenez, sur ce cratère, vers le haut, il me semble que l’on distingue des traces de retombées de projectiles ; ce sont probablement ceux éjectés radialement lors de l’explosion ". Je vérifie en effet ; il s’agit du cratère Cyrillus.

 

Nous continuons longtemps ; ensuite, ce sont les failles, puis les rides de compression. L’analyse s’étend enfin aux étendues basaltiques. Personne n’a jamais encore examiné la Lune avec cet esprit et ce bagage de connaissances géologiques.

 

La Lune baisse et se rapproche de l’horizon. L’intéressant visiteur se glisse au bas de l’échelle d’observation et, dans l’obscurité, cherche à taton à retrouver la porte de sortie de la coupole.

 

Je reste seul, ébahi, considérablement enrichi, très en retard pour la conduite des observations polarimétriques. Il me semble qu’une nouvelle manière d’étudier les planètes vient de naître.

 

2) Le lendemain, à la table du déjeuner en commun

 

Je suis à peine réveillé après la nuit d’observation terminée au lever du Soleil. En face de moi, un nouveau venu, inconnu. On me dit qu’il s’agit d’un professeur de géologie, venu étudier les effets du gel sur les roches de montagne.

 

Il s’adresse à moi :

" Vous êtes le jeune Audouin Dollfus, je pense ; l’étude de la Lune, cette nuit, m’a énormément enseigné. On voit qu’il y aurait beaucoup à gagner en appliquant la géologie aux études des planètes ".

 

Puis, peu après :

" Vous m’avez dit cette nuit que vous examinez la Lune et les planètes par la polarimétrie. De quoi s’agit il ? Pourrions nous en parler cet après-midi ?

 

3) L’après-midi du même jour, le Professeur André Cailleux entre dans le petit laboratoire attenant à la coupole

 

Impressionné par la stature du Professeur, surpris par sa curiosité d’esprit, encore jeune élève, je lui explique comment la mesure du taux de polarisation de la lumière réfléchie par un corps permet de caractériser les propriétés de la surface, à distance. On trace une " courbe de polarisation " ; on cherche à la simuler par des mesures au laboratoire. Dans le cas d’une planète, on peut reconstituer ainsi l’aspect de son sol, au télescope, comme si on le voyait à la loupe.

 

" Mais alors, il y a un cas important en géologie, celui des sables. Selon que le sol a été façonné par le vent, l’eau ou protégé, les grains sont rond-mat, émoussé-luisant ou non usé. On peut reconnaître de la sorte l’évolution passée d’un terrain. Vous pourriez déterminer les courbes de polarisation de ces différents types de sables. Je vais vous en faire parvenir ".

 

4) Paris, vers le 15 mars 1950

 

Avec le Professeur Cailleux, nous sonnons au domicile de l’Académicien Albert Michel-Lévy, le géologue et minéralogiste de grande réputation. Mireille, la jeune fille du professeur, nous ouvre la porte et nous conduit dans le cabinet du Maître. André Cailleux lui expose la méthode polarimétrique et lui présente le projet d’une publication à ce sujet.

 

5) Académie des Sciences, séance du 27 mars 1950

 

Lecture par Albert Michel-Levy d’un mémoire suivi d’une note intitulée " Etude polarimétrique de la lumière renvoyée par quelques sables et limons ", par Audouin Dollfus et André Cailleux, avec pour sommaire : " La courbe de polarisation des sables dépend principalement de l’opacité et de l’état de surface des grains, et aussi de leur dimension. Elle permet de distinguer les différents types de grains et laisse présumer l’absence de sables et limons quartzeux à la surface de la Lune, Mars et Mercure ".

 

6) 1959 : Naissance de l’exploration planétaire directe

  • 7 octobre 1959 : la sonde soviétique LUNA-3 contourne la Lune et révèle son hémisphère caché.
  • 31 juillet 1964 : l’engin américain Ranger-7 atteint la Lune et, juste avant l’impact, photographie des cailloux sur le sol.
  • 28 novembre 1964 : La sonde américaine Mariner-4 survole Mars et recueille 20 clichés qui révèlent des cratères à la surface.
  • 3 février 1966 : L’appareil soviétique LUNA-9 se pose en douceur sur la Lune et photographie le panorama.
  • 2 juin 1966 : A son tour, la sonde américaine Surveyor-1 se pose sur la Lune. Le sol est palpé avec un outil.
  • Juillet 1967 : Les Lunar Orbiter produisent une cartographie très détaillée de toute la surface lunaire.

 

André Cailleux voit dans ces exploits la matérialisation de ses vues. Il parle autour de lui de la future géologie planétaire. Il vient à l’Observatoire de Meudon pour examiner la manière d’exploiter ce nouvel outil de la science planétaire.

 

7) 1968 : Le feu d’artifice spatial n’a de cesse

 

Mariner 6 et 7 obtiennent 2000 images de la surface de Mars ; puis, en 1971, Mariner 9 produit 100 fois plus d’images encore. La planète dévoile sa morphologie sur toute la surface du globe. En février 1974, l’engin soviétique MARS 5 complète ces données.

 

Au même moment, Mariner 10 révèle la surface de Mercure, couverte de cratères.

 

André Cailleux est au Canada, ou il enseigne pour plusieurs années. Il écrit pour me demander comment les images des surfaces planétaires peuvent être rendues consultables. Je lui réponds qu’elles sont en cours de regroupement à l’Observatoire. A Meudon, grâce à la NASA, le Centre International de Photographies Planétaires vient d’étendre son mandat aux résultats des explorations spatiales. Nos conversations de 1959 n’avaient pas été oubliées.

 

8) 1975 : André Cailleux revient du Canada.

 

Il vient travailler régulièrement à Meudon, pour développer les connaissances que permettent les nouvelles possibilités de la géologie planétaire.

 

Sa présence au Laboratoire est un enrichissement pour tous. Il amène des chercheurs, des collègues qui deviennent des fidèles de notre groupe. Le géologue Marc Deschamps, le physicien Lucien Romani, élargissent nos vues. De profondes amitiés s’instaurent.

 

Chaque semaine, le mardi, un déjeuner nous réunit tous. Ces " déjeuners géologiques " passionnent les jeunes chercheurs et amènent de nouveaux convives ; souvent, une discussion scientifique approfondie se prolonge dans l’après-midi.

 

9) La " planétologie " s’est identifiée comme une discipline de recherche

 

Les géologues, par inclination, voient dans les planètes des sources de terrains nouveaux, dont l’étude permet d’améliorer la compréhension des actions géologiques terrestres.

 

André Cailleux pense que la géologie des planètes offre des possibilités bien plus grandes encore. Elle permet de comprendre les planètes pour elles-mêmes, en temps que corps célestes, afin d’élucider leurs évolutions et les épisodes de leurs transformations. La planétologie comparée doit suivre et elle élèvera la connaissance, faisant bénéficier de façon plus fondamentale encore la connaissance même de la Terre.

 

Il insiste sur cette manière d’engager l’étude. André Cailleux m’en persuade facilement ; il prend contact avec le Professeur Alain Godard, dont le Laboratoire de Géographie Dynamique est à Bellevue ; il établit la collaboration avec Meudon. Géologie terrestre et physique des planètes peuvent alors se prêter la main, comme il pense que la planétologie doit s’orienter.

 

10) Des jeunes chercheurs peuvent alors être formés

 

André Cailleux les découvre, les encourage, les fascine ; il les oriente dans cette voie ; il les amènent à Meudon.

 

François Costard prépare une Maîtrise, sur les effets de la glace dans le sol martien. De Bellevue, il reçoit la géologie, de Meudon la physique planétaire.

 

Nathalie Cabrol prépare de même une Maîtrise, sur les écoulements liquides à la surface de Mars.

 

Chacun est conduit à la Thèse. Le mouvement est lancé.

 

11) 27 décembre 1986 : André Cailleux cesse de vivre et de penser

 

Une crise cardiaque nous prive à jamais de sa présence. Notre Laboratoire perd sa fidélité chaleureuse et son esprit. Nous restons tous enrichi d’une fécondation scientifique intense.

 

Audouin Dollfus

Ecrit par cornu le Vendredi 25 Août 2006, 09:37 dans "André Cailleux" Version imprimable

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