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Ordre, créativité, folie

simple témoignage par A. Cailleux

Cantor, pour fonder la théorie des ensembles, est parti des nombres cardinaux, d’abord. Pourquoi pas des ordinaux ? m’a dit un jour .

Directeur du Laboratoire Eiffel, Romani y a amplement fourni des preuves de sa perspicacité. Sa remarque aussitôt retenu mon attention. J’ai réfléchi.

Les nombres cardinaux, chacun de nous les connaît : un, deux, trois, quatre ... et bien d’autres. Et les ordinaux : premier, deuxième, troisième, quatrième ... ce n’est pas sorcier. Des cardinaux, les livres d’arithmétique sont pleins. Mais les ordinaux, ils en parlent très peu. Raison de plus pour nous y intéresser, même et surtout si les mathématiques nous font peur.


L’enjeu est important. Les mathématiques modernes, qu’on les aime ou qu’on les redoute, sont fondées sur la théorie des ensembles. Et Cantor en a été le créateur, génial ... en ses jours de licidité. Mais il a connu d’autres jours, d’autres soirs. La notion d’ensemble, il l’a aimée, lui-même nous le dit. Il l’a aimée à la folie. A plusieurs reprises il a fallu l’interner.

En lui, comme en d’autres, créativité et folie se sont donné la main. Avec lui, dés le départ, nous sommes en plein dans notre domaine.

Un ordinal, par exemple, le premier, le quatrième, ça peut être un nombre, mais aussi un être ou une chose, par exemple, sur une ligne, un point. Quant aux nombres cardinaux, un, quatre, ils correspondent, nous dit encore Romani, aux parties de la ligne, aux segments, qui vont de son origine au premier point, au quatrième point.

La comparaison est séduisante. Est-elle profonde ? Comment juger ? Et où cela nous mène t-il ? Voilà ce que je me suis demandé, et que je voudrais vous dire ici dans l’ordre même de mes pensées et de mes actes, en tant que témoignage, " en toute simplicité " pour prendre les termes mêmes de Sébastien Giudicelli.

Comment en juger ? Giudicelli, vous, moi, sommes des êtres vivants. Chacun de nous, comme toute bactérie ou toute plante ou tout animal, est issu d’un germe, d’une lignée.

Le germe minuscule a grandi et s’est transformé par étapes successives, en jeune embryon, foetus, enfant, homme. Ces étapes du développement, les biologistes l’appellent, d’un mot, l’ontogenèse, la formation de l’être, de l’individu. Mais au cours des milliards d’années, des temps géologiques, et surtout des six ou sept cent derniers millions d’années, les ancêtres de tous les êtres actuels, vous et moi compris, ont évolué.

Ils se sont transformés par étapes, ils se sont diversifiés. Ces étapes là, les biologistes les appellent la phylogenèse, la formation, le développement de la lignée.

Et voilà le fait passionnant : les étapes du développement de l’être reprennent souvent, dans le même ordre, telle ou telle étape du développement de la lignée. L’embryon d’homme, et celui des autres mammifères, présentent ainsi, de chaque côté du cou, l’esquisse des fentes respiratoires de ses lointains ancêtres probables, les poissons. Il y a parallélisme de l’ontogenèse et de la phylogenèse.

Hardiesse ou témérité ? J’ai pris ces deux termes au sens le plus large, étendant l’ontogenèse au développement psychologique du jeune enfant, et la phylogenèse au développement technique et linguistique des hommes et des femmes de la préhistoire. J’appliquais ainsi un principe de méthode complétant ceux de Descartes et formulée pour la première fois, semble t-il par Lucien Romani : l’analyse parallèle.

L’enquête m’a demandé plusieurs mois. On en trouvera le détail dans l’article que l’Université de Provence a publié en 1983, dans le volume offert en hommage à François Meyer et dans mon livre (1).

Les résultats de l’enquête ? Glanons !

Ontogenèse ? Entre deux et quatre ans, le jeune enfant acquiert la notion des nombres, un, deux, puis trois. Au-delà, pour passer à la notion du nombre en général, il faut trois préalables, dont l’un est la notion d’ordre, de rang, acquise entre trois et cinq ans. Essayez vous-même de compter des fruits sur une table : s’il y en a beaucoup, vous serez bien obligé d’en faire des rangées, ou des petits tas, donc une mise en ordre, une " ordination " préalable. Autrement, vous risquez de compter deux fois le même fruit, ou d’en oublier un ou plusieurs.

Et la phylogenèse, les générations successives ? Dans la préhistoire, la confection des filets pour la pêche a dû précéder le tissage, bien plus compliqué. Pour l’un comme pour l’autre, il faut des actes successifs. D’abord, ourdir, faire la chaîne, rangées de fils bien parallèles, tous à égale distance : s’il y en avait de plus espacés que d’autres, les poissons s’évaderaient par là. Puis on trame : saisissant un nouveau fil, orienté cette fois en travers, à la rencontre du premier fil de chaîne, en fait un premier noeud ; à la rencontre du second, un second ; et ainsi de suite : des ordinaux.

En provençal, chacun de ces noeuds portent, précisément le nom d’ourdre, ordre. L’origine de ces deux mots, et du verbe ourdir, est le latin ordiri, qui veut dire tisser, et aussi commencer : on ourdit avant de tramer. C’est l’ordre dans les actions.

Les spécialistes nous disent qu’ordiri se rattache à la même racine qu’ornare, orner. Et justement de des plus anciennes figurations humaines dues aux artistes de la préhistoire, trente mille ans avant notre ère, les Venus de Brassempeny et de Villendorf portent une coiffure dessinant un élégant réseau, un filet à mailles bien régulières.

L’ordre, il est vrai, est ressenti souvent comme une contrainte. En contrepartie, il va de pair ici avec la beauté.

Au total, dans le développement de la lignée, comme de celui de l’être, l’ordre joue un rôle important.

L’envie m’est venue alors de l’introduire dans les ensembles. Non pas théoriquement ; d’autres l’ont fait, avant moi, à commencer par Cantor lui-même. Mais pratiquement, sur des ensembles réels, à partir de données connues, mesurées.

Les spécialistes nous avertissent : nous avons le choix entre une infinité de relations d’ordre différentes. J’ai décidé de commencer par l’une des plus simples, à la fois par goût, en vertu d’une longue habitude et parce que Descartes nous le conseille, et qu’il n’est pas le premier venu. Je rangerai les objets ou les êtres de chaque ensemble dans l’ordre allant du plus grand au plus petit, pour la propriété considérée. Pourquoi partir du plus grand, plutôt que du plus petit ? Parce qu’il a plus de chances d’êtres plus visible ..NdlR texte manquant.... rôle plus important dans la nature.

C’est aussi l’ordre recommandé pour les mots en langue latine, qui ne fut pas une langue médiocre, que je sache. Me voilà bien parti.

Et maintenant, quels ensembles ordonnés ? Ici encore est-ce hardiesse, ou témérité, ou désinvolture ? Peu importent quels ensembles. Je commencerai par ceux que je connais le mieux, ou que j’aime le mieux, et qui seront les plus faciles à ordonner : l’univers, les astres, les cristaux, les animaux et les plantes, les hommes, ... que sais-je ?

Et quelle propriété considérée ? Pour tous la même, afin de pouvoir comparer, ce qui sera drôle au moins, et peut être amusant. Le poids ou la masse conviendraient mais sont rarement donnés dans les ouvrages. La dimension sera beaucoup plus facile à trouver : diamètre des astres, hauteur des plantes, longueur ou hauteur des animaux et des hommes.

Une fois l’ensemble ordonné ainsi suivant la dimension, j’exécuterai sur lui une ou plusieurs opérations que j’appellerai naturellement post-ordinantes, puisqu’elles viennent après l’ordination. Quelle opération ? Pour comparer deux grandeurs exprimées par des nombres, j’ai un grand choix de moyens. L’un des deux plus simple est de soustraire la plus petite grandeur de la plus grande, soustraction qui donne la différence entre les deux. L’autre moyen est de diviser la plus grande par la plus petite, cette division me donne un quotient, qui exprime le rapport de la plus grande à la plus petite. Le rapport a sur la différence au moins deux avantages qu’un exemple met bien en évidence : De Moriez à Nîmes la distance est d’environ cent vingt quatre kilomètres, et à Aix de trente-et-un ; la différence est de quatre vingt treize kilomètres, et le rapport, est de quatre à un : Nîmes est quatre fois plus loin. Mais si, au lieu de parler en kilomètre, nous parlons en mètres, mille fois plus petits, la différence devient quatre vingt treize mille (mètres), mais le rapport reste celui de quatre à un. Nîmes reste quatre fois plus loin qu’Aix, évidemment. Ainsi la différence .....vers l’unité de mesure, tandis que le rapport reste constant. C’est un nombre petit. Et, second avantage, il ne varie par non plus avec l’échelle plus ou moins grande des choses. Sur une carte, ou sur une photo prise par un satellite, le dessin de la route qui va de Marseille à Nîmes est quatre fois plus long de Marseille à Aix. Grâce à ce double avantage des rapports, bien connu jusqu’ici trop rarement mis à profit, je n’avais plus à me préoccuper des unités choisies, et mes résultats seront mieux comparables entre eux..................NdlR texte manquant..........................................

NdlR texte manquant...........................ce qui fait sauter aux yeux les ordres de grandeur. Plus le rapport est grand, plus il y a de zéros après le ou les premiers chiffres, plus le nombre paraît grand à l’oeil : l’effet est saisissant.

Le résultat aussi. Dans le monde inanimé, les rapports sont très grands : à partir de soixante dix milliards de milliards de milliards de milliards (quatre fois) pour les objets de l’univers actuellement connu, en passant par cent millions pour les cristaux naturels terrestres, six mille trois cent pour l’ensemble des planètes et des satellites, trente six pour les planètes seulement.

NdlR texte manquant............................que pour les individus saints. Les autres, les géants (au dessus de deux mètres) et les nains (au dessous d’un mètre trente) s’en écartent, et les nains plus encore que les géants. La raison en est simple et médicale : les causes de nanisme sont plus nombreuses et plus variées que celles de gigantismes. Dans ce deuxième essai, les opérations post-ordinantes apportent un résultat neuf.

Les deux premiers essais ayant porté sur la dimension j’ai pris pour le troisième, une autre grandeur, la plus importante à mes yeux.....NdlR texte manquant.....................

Par acquit de conscience, j’ai tenu à m’initier alors - il n’est jamais trop tard pour bien faire - à l’historique des notions d’ordination et de rapport. Le mot " ordination " a été pris au sens de mise en ordre dès le XVIIIème siècle, par Diderot.

Quant aux rapports, les bons ouvrages et articles consultés m’ont rapidement renvoyé, en fin de compte, au livre V des Eléments d’Euclide, qui leur est entièrement consacré, et où Euclide reprend les vues d’Eudoxe. Les travaux de celui-ci, perdus, nous sont connus par ce qu’en disent les autres auteurs. Tous les spécialistes reconnaissent en Eudoxe le plus grand mathématicien de son époque, inventeur du procédé très remarquable de l’exhaustien, d’où est issu, vingt siècles plus tard, grâce à Newton et à Leibnitz, le calcul intégral et différentiel.

Les spécialistes nous disent encore que le livre V n’a été vraiment compris qu’à la fin du XIXème siècle, au temps de Cantor. A mon tour je l’ouvre. Qu’y trouverai-je ?

En dix-huit définitions, en moins de deux pages, l’essentiel est dit, et dans une langue très belle et très simple. L’importance de l’ordre apparaît dès la cinquième définition, de même que les ordinaux. Dans la définition dix-sept est nettement contenue la notion d’ensemble, que Cantor dégagera et soulignera vingt-deux siècles plus tard. A ma grande stupéfaction, j’y trouve aussi, clairement exprimés, et le rapport extrémal, et les rapports séquentiels, et la formule fondamentale qui les relie. Et tout cela sous la forme la plus générale, s’appliquant non seulement aux nombre, mais à toute grandeur, quelle qu’elle soit, et donc à tout ensemble, quel qu’il soit.

Ainsi j’ai eu un prédécesseur, et de taille. Et ce même homme, ce même grec, sur les bords lumineux de notre Méditerranée, ce créateur à qui nous devons le germe du calcul différentiel et intégral, est aussi celui à qui nous devons le fondement des opérations post-ordinantes.

Chacun s’étonnera que vingt trois siècles se soient écoulés avant que celles-ci aient été enfin retrouvées, développées et appliquées sciemment et systématiquement à des exemples concrets. Mais le délai a été presque aussi grand - vingt siècles pour le calcul différentiel et intégral, et vingt-deux pour la notion d’ensemble. De tels retards n’ont jusqu’ici pas retenu suffisamment l’attention. Comment les expliquer ? Il ne suffit pas qu’un développement scientifique soit possible. Pour qu’il se réalise, il faut qu’un auteur soit le précurseur, soit un successeur plus ou moins lointain, prenne le temps de s’y appliquer, et pour cela que lui même ou quelques autres y trouvent un minimum d’intérêt. Il faut que l’ensemble du monde scientifique et peut être même de la société en général soit prêt à ce développement pour accueillir, ou du moins à ne pas en contester l’intérêt. Cantor lui-même s’est heurté à l’indifférence ou à l’hostilité de mathématicien éminents, il en a été profondément peiné, et cela a certainement accentué ses accès de folie. Quant à Eudoxe, de son temps, l’état des connaissances concrètes était insuffisant et les esprits n’étaient pas mûrs, et c’est seulement depuis moins d’un siècle qu’il a pu être compris et enfin suivi.

Me sentir le disciple d’un tel homme a été pour moi un réconfort, une joie, un encouragement. Dans ma recherche, je n’étais plus seul, j’étais moins en pointe, plus assuré. Encouragé, j’ai élargis mon champs d’action. J’ai appliqué mes opérations post-ordinantes, entre autres, aux ensembles de chaque planète avec ses satellites. Pour beaucoup de propriété, les rapports post-ordinants classent le système Terre-Lune bien à part de tous les autres. Or c’est un ensemble de deux objets. Seulement lui appliquer la statistique classique serait insensé et même impossible : celle-ci en effet exige de grands nombres. Les post-ordinantes viennent ici au secours de la statistique. Leurs domaines en partie se recouvrent, mais en partie sont bien distincts. Et les rapports post-ordinants sont bien plus simples : il suffit de savoir faire une division, et la moindre calculatrice de poche en est capable. Essayez !

Quant au calcul différentiel et intégral il a été évidemment et il demeure à la base de tout développement mathématique, physique, chimique et même biologique, sociologique et économique modernes. A côté de lui, les post-ordinantes ne sont que des bébés, encore dans les langes. Mais elles ont leur personnalité à elles et beaucoup sont d’une autre sorte. Dans tous les exemples que nous avons pris, elles sont intrinsèques, elles ne mettent en jeu qu’une seule grandeur ou propriété, comme la dimension, ou l’étendue, ou la période. Au contraire, le calcul classique met toujours en jeu au moins deux grandeurs, une fonction et une variable, des x et des y, et des équations qui rebutent certains. La majorité des post-ordinantes s’en passe. Etant intrinsèques, elles vont davantage au coeur des choses.

Elle ne s’appliquèrent pas à tout, bien sûr, il faudra choisir les propriétés et les ensembles où on a des chances qu’elles parlent, qu’elles soient fécondes.

Pour cela il nous faudra développer en nous une pensée pré-ordinante.

Les ensembles de deux ne se limitent pas seulement aux choses, ils concernent aussi les êtres : qu’on songe à Nisus et Euryale, à Olivier et Roland, à Roméo et Juliette. On peut rêver d’une ordination des sentiments et des actes, des buts que chacun de nous se donne dans sa vie, chaque jour. Nous interroger sur ces buts, sur leur ordre, sur leur rang ... Vivre les post-ordinantes !

J’aurais pu les appeler " post-ordinales ". J’ai préféré post-ordinantes, qui a une forme de participe présent actif. Et " participe " veut dire " qui prend part ". L’opération, notre oeuvre, est présente, elle prend part à notre vie. Elle devient notre soeur.

Certains penseront qu’elles exclut la " philosophie du désordre " que nous propose Léo Ferré. Pas du tout. Avec cette philosophie, elle forme un ensemble de deux. Elles sont, il est vrai, de sens opposé ; mais appliquées à des choses différentes, en des temps différents, elles sont parfaitement compatibles. L’ordre, à la longue, deviendrait ennuyeux. Un désordre détend.

Ma pensée et ma reconnaissance vont vers les amis, les confrères, les coauteurs, les étudiants, les éditeurs, qui m’ont aidé, conseillé, soutenu, encouragé : qu’ils en soient profondément remerciés.

En pensant à mon maître Eudoxe, " le méditerranéen ", les paroles de Sébastien Giudicelli résonnent, comme un écho, dans ma mémoire : " la lecture éclairante ", d’où chez le lecteur, " effacement " savouré ; " humilité scientifique ", " doute productif " ; et " la conviction est mettre au travail ". Et au-delà : " un monde non choisi ", " l’écran des possibles ", " l’intermédiaire du coeur ". Par les post-ordinantes " nouveau chemin, nouveaux horizons " et même " nouvelle éthique ".

Enfin, en songeant au cher Cantor " ensembles sur fond d’absence ". En lui, création et folie ont été " enlacées ". Ensemble de deux encore ...

L’ordination et les post-ordinantes ont devant elles un bel avenir.

 


 

(1) André P. Cayeux /1983/ Les opérations post-ordinantes, 157 p., 18 fig., 33 tableaux, Guérin, 4501 Drolet, Montréal et ESKA, 30 rue de Domrémy, 75015 PARIS.

Ecrit par cornu le Vendredi 25 Août 2006, 10:22 dans "André Cailleux" Version imprimable

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